LA VISITE DU MUSEE DES TELECOMMUNICATIONS
ui à Bordeaux connaît le musée des télécommunications ? Situé rue Gouffrand, il occupe un ancien central téléphonique, bâtiment fonctionnel bien loin des magnifiques façades XVIII ème dont,à juste raison, Bordeaux s'enorgueillit.
Qui le remarque en passant par cette rue banale et sans âme ?
Qui traverse seulement cet arrière quartier encore baptisé Chartrons pour lui donner un peu de lustre ? Mais, passé cette situation peu avantageuse et, la porte franchie, le visiteur découvre un univers : celui des télécommunications.
Il entre dans un couloir encombré de gravures historiques et de vitrines chargées en matériel.
Il sait qu'il va visiter un musée et se croit à la porte d'un grenier. Car ici tout est vieux,
tout ressemble à ce que chacun entrepose sous le toit de sa maison et qu'il hésite à jeter.
Les générations futures s'en chargeront. Les étages et les vastes salles sont à l'image d'un grenier; elles ne sont cependant pas un débarras. Les objets stockés là ont une histoire technique et humaine. Depuis 1983 des passionnés ont entrepris de les rassembler. Ils viennent là pour raconter aux visiteurs les anecdotes et les péripéties des pionniers du téléphone.
Un brin nostalgique, leur discours dit toute la richesse de cette aventure humaine qui est loin d'être terminée.
Les téléphones portables maintenant, les satellites et les ordinateurs ainsi que les lointaines comètes récemment explorées par des robots communiquant avec la Terre, toute la technologie
d'aujourd'hui continue bruyamment l'histoire des télécommunications.
C'est dans le musée de la rue Gouffrand que les membres de CYBERILLAC se sont réunis pour voir et comprendre le long parcours de l'humanité face à l'impérieuse nécessité de communiquer depuis les marathoniens de la Grèce antique, en passant par les chaski andins, le télégraphe Chappe, jusqu'aux Skype, Facetime, mail et réseaux sociaux du mois de mars 2015.
Il y avait parmi les visiteurs des visiteuses.
Notoirement, les femmes ne font pas leur quotidien
de la technique. Et le musée en regorge...
Pourtant, mesdames, regardez bien ce pupitre
téléphonique de jadis.Son bel habillage de bois clair
n'est-il pas particulièrement esthétique ?
N'a-t-il pas le pouvoir de vous séduire ?
Et aussi celui de vous émouvoir au point de l'accepter
dans votre salon pour le plaisir du beau meuble
associé à celui qu'aurait votre mari à le montrer à ses amis,
fier d'avoir chez lui de quoi les étonner sinon de les faire se souvenir.
Beaucoup de gravures anciennes dans ce musée.
Elles prouvent que déjà, à l'aube du 19 ème siècle, les télécommunications passionnaient.
Elles furent largement représentées par ceux qui avaient à cœur ou en charge de figer
les événements majeurs de leur époque. Portraits d'inventeurs, équipements,
scènes d'expérimentation ou, plus tard, les grands halls où opéraient les demoiselles
du téléphone surent frapper les esprits avides de savoir comment deux personnes arrivaient à s'échanger des informations à des distances inouïes.
J'ai bien aimé cette gravure et surtout le texte qui l'accompagne :
On entendra et on verra à des milliers de lieues de distance
l'oeuvre que l'on chante à l'Opéra ou la pièce qui se joue
à la Comédie Française.
Le direct déjà !!
Elle, c'est Valentine. Elle habitait Langon dans les années 20
et mettait régulièrement Germaine la crémière en communication
avec Pierrot le boucher.
On dit qu'ils étaient amants mais seule Valentine le savait.
Ah, Le pouvoir qu'avaient les opératrices dans les campagnes !
Pendant les dernières vacances des malfaiteurs se sont introduits
dans le musée en passant par l'escalier de service.
Guy notre guide nous raconta qu'ils n'avaient rien volé.
Même pas ce gros morceau de cuivre, bien lourd, pièce technique
sophistiquée mais surtout d'une valeur marchande inestimable.
Même pas un téléphone ! Non, ils voulaient seulement casser et s'ils n'avaient pas été surpris,
ils auraient fait au musée un tort considérable.
Ils n'eurent que le temps de s'en prendre à Valentine en lui brisant une main.
Pauvre Valentine ! Des vandales, de jeunes voyous désœuvrés ?
Je pense plutôt qu'il s'agissait d'une vengeance perpétrée par des descendants de Germaine et Pierrot
persuadés que Valentine avaient révélé leur union secrète.
Pour éclaicir ce mystère, et j'espère me donner raison, j'ai envoyé Michel,notre expert en généalogie,
en mission à Langon pour enquêter sur la famille de la crémière et du boucher...
Monique et Chantal, les demoiselles du téléphone du 21 ème siècle !
Ce ne sont pas elles qui écouteraient les conversations.
D'ailleurs aujourd'hui la technique a fait de tels progrès
que plus aucun échange téléphonique ne peut être écouté. C'est ce qu'on nous dit...
Sans vouloir arranger une mise en scène particulière Guy posa cette maquette de la tour Chappe en alignement avec 3 téléphones.
Sa présentation inattendue fut chronologique.
L'évolution de l'appareil est là, sur une courte période du 20 ème siècle : la manette pour appeler l'opératrice que les plus anciens d'entre nous ont connu dans les campagnes, le célèbre cadran rotatif et
le clavier à touches mécaniques. Pour prolonger la période j'aurais bien posé mon i-phone à côté, mais je n'ai pas osé.
La tour Chappe justement, quand la fée électricité était encore dans les limbes.
Elle rendit de grands services pour la transmissions des messages en visuel.
Guy nous la présenta avec beaucoup de nostalgie.
Il nous raconta aussi quelques anecdotes à son sujet à commencer par la triste fin
de son génial inventeur Claude Chappe.
Son télégraphe recut les encouragements d'hommes célèbres
comme Alexandre Dumas et Flaubert.
Victor Hugo, par contre ne voulait pas en entendre parler:
Ce maudit télégraphe enfin va-t-il cesser
D'importuner mes
yeux qu'il commence à lasser ?
Là, devant ma lucarne ! il est bien ridicule
Qu'on place un télégraphe auprès de ma cellule !
Il s'élève, il s'abaisse... et mon esprit distrait
Dans ces vains mouvements cherche quelque secret...
Quelques exemplaires de ces ancêtres vénérables
existent encore sur le territoire français.
Il y en a même une dans notre région à Gradignan.
Hélas ! elle a perdu ses bras lors de la dernière tempête.
Le musée a ouvert un partenariat avec des étudiants BTS pour les reconstruire.
Ce n'est pas parce qu'ils sont accro au SMS, Twitter et autres réseaux
qu'il vont abandonner cette vieille dame à son triste sort...
Son introduction terminée, notre guide nous emmena dans les étages.
Et là, devant nos yeux émerveillés, une quantité incroyable d'équipements et de souvenirs,
du plus petit au plus grand continua de nous raconter l'histoire extraordinaire des télécommunications.
Voici quelques photos prises par Michel et Monique qui n'eurent pas à demander d'autorisation,
chaque pièce photographiée n'étant plus en usage depuis longtemps et donc à l'abri de l'espionnage
à la fois industriel et militaire.
Mais ce n'est pas pour cela que rien ne fonctionne.
Nous eûmes droit à quelques essais de communication téléphonique accompagnés du doux cliquetis
des relais électromagnétiques. Quelle musique étonnante !
Et quel soin assidu mettent les bénévoles du musée à les entretenir !
Certains réhabilitent des voitures anciennes, d'autres des motos, d'autres encore des moteurs d'avions...
alors, pourquoi pas des autocommutateurs Strowger ?
Poste ADER mural avec micro à planchette
et 2 récepteurs
1879
pouvait on lire sur la plaquette.
Planchette, plaquette et pourquoi pas tablette aussi !
Et voilà, avant celui à charbons, le fameux microphone en bois
Bonjour la sensibilité !
En suivant, une autre collection d'équipements.
C'est fou la diversité de tout ce qui a été inventé pour communiquer !
Ce vieux monsieur barbu est Samuel Finley Morse.
C'est lui qui fit souffrir des générations de télégraphistes avec son code plein de ti et de ta.
Ceux qui comme moi ont tâté du scoutisme dans les années 50, pour correspondre avec les autres patrouilles
à la lampe électrique, ont eu à apprendre par cœur la codification des 26 lettres de l'alphabet :
A: ti ta
B: ta ti ti ti
C: ta ti ta ti etc...
Quand on a 8 ans l'effort s'ajoute à celui des tables de multiplication : une vraie souffrance, je vous dis.
Avec Bernard nous avons retrouvé dans nos mémoires endormies
quelques traces de ce savant codage ( A: ti ta, N: ta ti, E: ti, I: ti ti )
Rendons cependant hommage à Samuel, son ti ti ti ta ta ta ti ti ti a sauvé bien des vies.
De 1951 à 1980 il y avait cette machine surprenante
qui répondait au téléphone en donnant l'heure.
On l'appelait l'horloge parlante .
Ne fait-elle pas figure de prototype de ces ordinateurs
installés on ne sait où sur la planète qui vous envoient
des mails instantanés en réponse à votre question ?
noreply@machintruc.com
Si vous passez au musée prenez le temps de lire
l'explication :elle est très instructive,
amusante et rappelle tant de souvenirs.
au 4 ème top il sera exactement...
On y apprend aussi que le service existe toujours.
Toute sa technique doit tenir dans une puce électronique.
Le télégraphe Hugues.
David Edward Hugues était musicien,
pianiste plus précisément.
On l'aurait deviné.
L'imagination scientifique, c'est No limit .
Elle se retrouve bien sûr dans les téléphones publics et il me faut ici décrire
une invention qui nous fut rapportée par un des visiteurs.
Ces téléphones, avant que fût inventée la carte à puce, fonctionnaient avec des pièces de monnaies. Sur certaines cabines l'utilisateur pouvait voir tomber son argent
dans un réceptacle transparent. Les voleurs aussi.
Pour eux quelle tentation ! Ce type de machine à sous fut vite abandonné.
Mais les resquilleurs ont l'imagination aussi fertile que les inventeurs;
ils téléphonaient gratuitement en fixant à la pièce de monnaie un fil de nylon.
Celle-ci, une fois descendue jusqu'au contact électrique, était récupérée en tirant sur le fil.
Alors les ingénieurs imaginèrent de fixer derrière chaque fente un dispositif coupe-fil.
Rien n'arrête le progrès...
On remarquera en bas à gauche sur la photo cet appareillage
étrange en forme de pyramide. Son design est trop moderne
pour avoir été conçu par un ingénieur de l'Egypte antique.
Non, il date des années 80 et était utilisé pour des audioconférences.
Dans ma carrière j'ai participé à maintes réunions
de ce type mais je n'avais jamais vu un matériel aussi futuriste.
Il mérite largement sa place dans ce musée.
Notre guide nous fit redescendre au rez de chaussée pour voir les équipements dédiés aux transmissions.
Il m'avait tenu en haleine en m'ayant promis un faisceau hertzien, j'allais le voir enfin
et pouvoir reconnaître ces bâtis sur lesquels j'avais travaillé juste après mon embauche comme technicien.
A mon tour d'être nostalgique. D'abord, je fus déçu car celui qu'il me montra s'appelait
Pharaon
alors que je n'avais souvenir d'aucun portant ce nom. Les miens étaient désignés par FH, pour faisceau hertzien, suivi d'un numéro. J'avais peiné jadis sur le FH 664 et le FH 665.
Enfin, en regardant mieux, je pus lire en haut du bâti écrit en plus petit : FH 664.
Un faisceau de souvenirs professionnels refit soudainement surface.
Quel plaisir que celui de retrouver devant soi les images d'un passé parfois douloureux,
tant ces systèmes étaient capricieux, mais aussi reconnaissant quand enfin on réussissait une bonne transmission
de quelques milliers de voix téléphoniques savamment multiplexées sur des centaines de km en terrain hostile ! C'était cela l'aventure du faisceau hertzien.
J'en étais là de mes émois quand Guy m'apprit que depuis longtemps le faisceau hertzien avait disparu,
remplacé par la voix IP et le satellite. Quelle déception !
Toutes ces heures d'études et d'essai pour en arriver là !
Le temps qui passe a des effets bien cruels.
Je me consolais en découvrant sur une étagère un de ces fameux
classeurs gris dans lesquels était présentée la documentation technique.
En le feuilletant je reçu une deuxième bouffée de nostalgie.
Tout y était : les amplificateurs avec leur condensateur de neutrodinage,
les multiplicateurs de fréquence, les mélangeurs à fréquence intermédiaire,
les circuits accordés sur les deuxièmes, troisièmes et même cinquièmes
harmoniques,les décodeurs HDB3 etc...
Pardonnez moi, mesdames je m'aperçois que je vais trop loin
dans la technique. Que voulez-vous, il y a des formations
et des expériences qui vous marquent à vie
comme il y a des circonstances où raconter sa vie immanquables.
Je remercie Michel d'avoir fixé sur la pellicule numérique ce moment qui me fut si précieux.
Je ne fus pas le seul dans le groupe à évoquer ses souvenirs
professionnels à l'occasion de cette visite.
Tenez par exemple, Jean-Louis reconnut sur ce mur
une moquette qu'il avait vendue à l'époque où il travaillait
chez un fabricant de décorations murales.
Dans n'importe quel musée du monde, chacun trouve son bonheur.
A propos de décoration, il ne viendrait à l'idée d'aucun technicien,
qui par nature ont d'autres préoccupations que la parure,
d'utiliser des câbles pour égayer joliment une étagère.
Mesdames, je reviens vers vous pour vous faire remarquer
que ces bouquets de fils électriques font autant d'effet décoratif
qu'une exposition florale.
Je soupçonne qu'ils furent rassemblés ici pour la pédagogie
mais aussi dans un souci de beauté aussi aérienne que colorée.
Qui a osé dire que les techniciens n'avaient pas de sens artistique ?
Combien de conversations ont circulé
dans ces tortillons multicolores !
Entourée de tous ses amis de CYBERILLAC, Valentine se sentait moins seule. Car cet intéressant musée que nous avons visité reste peu fréquenté. Quelques écoles, quelques associations comme la nôtre
et c'est tout. Le public l'ignore et c'est bien dommage. L'histoire des télécommunications si riche et si bien documentée l'attend. Il suffirait d'un peu de publicité, quelques animations peut être,
bref de la communication au sens où on l'entend aujourd'hui pour qu'il retrouve l'attirance qu'il mérite. Facile à dire, moins facile à mettre en place avec seulement quelques bénévoles, passionnés
et dévoués. Ils sont toujours là pourtant, prêts à partager leurs connaissances et constitués en association :
l'AMHITEL (Association pour le Musée et l'Histoire des Télécommunications en Aquitaine
Ne manquez pas de les contacter, ils sont sur le net :
ICI
Au nom de CYBERILLAC,
je remercie Guy et son collègue pour leur accueil et leur disponibilité.
Un grand merci aussi à Alain MAURAS qui nous les a fait rencontrer.
Pour avoir pensé à prendre des photos et me les avoir confiées pour ce reportage,
je remercie également Monique DUPHIL et Michel ORTZ.
Jean-Pierre VENNIN
Mars 2015
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